Le contenu idéologique des mathématiques

Publié le par Jean Coulardeau

              En 1974, Jean Coulardeau obtenait de son ami, Alexandre Grothendieck, que soit publié dans un livre collectif de la collection 10-18, une réflexion sur les mathématiques qu'il venait d'écrire. Dans les extraits qui suivent on trouvera les prémices de son travail sur l'ordinateur. L'ouvrage étant épuisé depuis longtemps, nous (ses amis et lui) avons décidé de rendre publique sa contribution. Si vous désirez connaître l'intégralité de cette publication, vous pouvez en faire la demande à Jean Coulardeau qui vous en enverra une copie (16 pages de texte) contre deux timbres. On peut parfois trouver le livre complet chez un bouquiniste.

 CONTENU IDEOLOGIQUE DES MATHEMATIQUES

  […]

             1) Sous le mot mathématiques, le langage commun comprend deux choses fort différentes. D'une part, il signifie les opérations élémentaires de la vie : évaluation des quantités, des durées, des distances, bref toutes les mesures qu'elles soient exprimées en unités locales, nationales, internationales ou imagées (autant d'hommes que de brins d'herbe dans la prairie); d'autre part, il englobe les recherches ultra spécialisées de notre monde technique.

 Désigner par le même mot deux choses aussi différentes est un abus flagrant. Car, si on ne peut pas se passer du premier aspect des mathématiques, il est bien évident que le second peut parfaitement être ignoré, je dirai même qu'il vaudrait mieux que nous ne l'ayons jamais conçu.... Je m'attaque à cette mathématique qui n'a plus rien de réel et de vivant mais qui dirige notre monde au nom de sa logique inexorable....

             2) […] Si j'ai choisi ce domaine pour cible, c'est tout simplement parce qu'il se prétend neutre, intemporel et universel et qu'il sert par conséquent de refuge à l'ensemble des autres disciplines. Tout se mathématise pour avoir l'air d'être objectif, pour s'imposer à tous de manière indiscutable. Car on ne discute pas les mathématiques. Et bien, je vais violer l'interdit...

 Dichotomie

             Les mathématiques font croire que tout l'univers est divisible en deux parties distinctes, qu'à chaque question il existe deux sortes de réponses : les bonnes et les mauvaises, les vraies et les fausses, ou plus simplement : oui ou non.

             Le calcul des probabilités ou celui des erreurs ne fait pas apparaître une mathématique plus relative. La solution n'est qu'un mélange des produits extrêmes jamais un produit nouveau et ils ne font que permettre le classement de ce qui, hier, restait en dehors des deux groupes...

 Hiérarchie

             Si les mathématiques étaient indépendantes de notre idéologie, il faudrait considérer que les ethnies qui ne les connaissent pas sont inférieures à nous. Par conséquent, elles devraient être dans l'impossibilité de vivre, puisque toute vie est mathématisée. Or, cela se heurte à la simple observation et à notre désir souvent affirmé de considérer toutes les races comme égales. Pour résoudre cette contradiction profonde notre civilisation a commencé par détruire les autres, puis les a scolarisés... Quant à ceux qui refusent notre école, nos bons maîtres et le savoir, ils sont exterminés par les armes ou par la faim. On ne refuse pas le pain intellectuel du Blanc, sinon on meurt.

             Nous sommes tolérants parce qu'il n'y a plus rien à tolérer de profondément différent...

             Prétendre aboutir par le canal de la science (au sens actuel du mot, c'est à dire accumulation des connaissances mathématisées) à une société plus juste est une contradiction. La connaissance mathématique et l'égalité (base de la justice) sont incompatibles, car celui qui sait aura toujours une valeur marchande et sociale supérieure à celui qui ne sait pas, dans une culture qui ne peut pas ne pas employer les mathématiques.

 Les nombres, la numération

             Compter c'est attribuer à chaque élément de l'ensemble un rôle spécifique ; quelle que soit notre manière d'appréhender le réel, elle a un caractère idéologique ; quand nous étions individualistes forcenés et bourgeois, nous parlions en termes d'unités. Maintenant que le collectivisme a fait son chemin dans les esprits, nous parlons en terme de "masse". Nos instruments sont la statistique et les ensembles qui, comme par hasard, se développent en même temps que les mathématiques modernes et la recherche dite pure en ce domaine.... notre mathématique n'a pas sa raison d'être. Elle n'est simplificatrice que dans la mesure où elle a compliqué la vie.

             La numération, en faisant perdre de vue la réalité concrète de la chose comptée, déshumanise les rapports humains. Elle ouvre la porte à la théorie des grands nombres, c'est à dire à l'inhumain par excellence. En effet, cette fameuse loi des grands nombres tend à ramener la périphérie vers le centre, à uniformiser la population et les comportements. Au nom de la majorité (découverte mathématiquement sans qu'elle se soit exprimée) on impose à la minorité un certain nombre de choses. Puis, lorsque la périphérie est soumise on refait une nouvelle étude qui fait apparaître une nouvelle périphérie qui sera à nouveau soumise, et ainsi de suite jusqu'à l'identité complète, conformément au modèle établi mathématiquement. Cela s'appelle en mécanique "la normalisation"...

 Le caractère colonial des mathématiques

             Le langage mathématique comme la science en général, tend à devenir universel et ne tient donc plus compte des différences culturelles, mais seulement de l'efficacité....

             On m'a dit que ce sont les applications des mathématiques qui sont responsables de cela et non les mathématiques elles-mêmes. Il n'y pas pire illusion. Car :

             1) Les mathématiciens ne se sont pas élevés contre l'objectivisation des sciences sociales par l'emploi des mathématiques. Au contraire ils y collaborent.

             2) Sans cette utilisation, les mathématiques actuelles n'existeraient pas. Comment établir une loi statistique si les gens et les choses ne sont pas conformés à l'observation ?

             En déshumanisant leurs instruments les mathématiciens ne réalisent plus que derrière le chiffre il y a des hommes et du vivant, et ils ne veulent pas voir qu'ils ne peuvent travailler que grâce à un appareil coercitif extraordinaire...

             La civilisation technique, "blanche" (selon une expression de Robert Jaulin), est celle qui porte les mathématiques. Comme par hasard c'est la plus colonisatrice, ne serait-ce que par l'école qui apprend une manière de saisir le réel, incompatible avec toute forme de civilisation autre qu'elle.

             Comme par hasard notre civilisation est à Dieu unique, autrement dit dichotomique.

 Peut-on faire des mathématiques sans coloniser ?

             Ma réponse, on s'en doute, est négative. Certains m'ont fait valoir que rien n'empêchait quelqu'un de faire des mathématiques chez lui et qu'il n'était pas pour cela un colon.

             C'est vrai, mais ils oublient trois choses :

             1) que pour faire des mathématiques il a fallu qu'ils les apprennent, donc qu'ils trouvent une structure enseignante et sélective typique à notre société ;

             2) qu'ils n'auront aucun goût à faire des mathématiques dans une société qui s'en moquera et n'en tiendra aucun compte ;

             3) qu'ils seront toujours tentés de faire valoir leur solution au nom de l'efficacité et qu'ils finiront par les imposer au nom du bien public....

 

  Mathématiques modernes et pédagogie moderne

              …A l'école moderne, l'enfant est libre. Mais voilà, comme à la fin de sa scolarité il a acquis le même bagage (puisqu'il passe les mêmes examens avec autant de succès sinon plus), c'est qu'il s'est fait intégrer en douceur. Pour son malheur il croit avoir été libre.

             …Ce n'est pas parce qu'un enfant est libre de manipuler les mathématiques à sa guise qu'il est un homme libre. Au contraire, il s'enchaîne consciencieusement.

  Conséquences du refus des mathématiques

              Ici, il me faut être clair. Beaucoup m'auront suivi car ils n'aiment pas les mathématiques et voient là un moyen d'envoyer sur les roses les profs exigeants. Ils se gardent bien de chercher un nouvel équilibre conforme à leur position. Ils oublient que toute notre société repose sur les mathématiques. Ils feignent de croire qu'il est possible qu'il existe des secteurs réservés.

             Une société forme un tout ; il ne s'y développe pas un élément de l'ampleur des mathématiques sans que la totalité de l'édifice soit concernée. En plagiant Ferdinand de Saussure, je dirai que, comme sur un échiquier, toutes les pièces sont interdépendantes.

 Chaque déplacement de l'une d'entre elles modifie le rôle de toutes les autres.

          Supprimer les mathématiques dans notre société c'est tout remettre en cause, tout bouleverser. Ceux qui se disent allergiques aux mathématiques sont soit des asociaux, soit des malchanceux (ils n'ont pas eu un prof qui a su leur faire découvrir qu'ils étaient capables de faire des mathématiques). Car sans mathématiques il n'est pas possible de vivre (en comprenant quelque chose) dans notre société...

             … On ne peut pas faire coexister la concentration avec l'autonomie et l'autarcie. Il faut choisir....

             Sans mathématiques, il n'est pas possible de bâtir des édifices de la connaissance et de hiérarchiser les gens sur leur capacité à s'y élever en marchant sur les autres. Quoiqu'en disent certains, une société non hiérarchisée est possible et la connaissance va à l'encontre de l'égalité. Depuis que le monde est entré dans l'ère de la croissance du savoir, il n'a jamais été aussi hiérarchisé, n'en déplaise aux démocrates qui prennent leurs rêves pour des réalités....

 

              Les solutions scientifiques ne peuvent pas ne pas simplifier le réel pour s'appliquer au grand nombre. Il faut donc renoncer à cela et, par conséquent, renouer avec le réel, mais aussi renoncer aux solutions universelles. Actuellement, la réalité s'adapte (les hommes se plient). La liberté est dans le contraire. Comme les mathématiques ne se plieront jamais, il faut renoncer soit aux mathématiques, soit à la liberté.

 

 

 

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C
<br /> <br /> Bonjour,<br /> <br /> <br /> Vous êtes cordialement invité à visiter mon blog.<br />       <br /> Description : Mon Blog(fermaton.over-blog.com), présente le développement mathématique de la conscience humaine.<br /> <br /> <br /> La Page No-15, L'ÉQUATION DU MONDE !<br /> Pourquoi se compliquer l'existence ? C'est si évident !<br /> <br /> <br /> Cordialement<br /> <br /> <br /> Clovis Simard<br /> <br /> <br /> <br />
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